bebe-pleur-secouerJ’ai quatre enfants, quatre jeunes enfants. J’ai eu mon premier à 22 ans, âge où je n’étais pas reconnue pour ma patience légendaire. Il n’avait que quatre ans lorsque j’ai accouché de ma troisième; mes mousses sont nés à plus ou moins deux ans d’intervalle, sauf pour la dernière. Sur quatre, je n’ai pas pigé une seule fois le modèle qu’on utilise dans les films américains, soit le bébé qui gazouille en toutes circonstances et s’endort sans trop qu’on s’en rende compte.

J’ai eu quatre bébés plutôt difficiles en fait. Ce n’était pas leur faute, c’était la faute du reflux gastro-oesophagien. N’empêche que, j’ai eu quatre enfants irritables. Un moins que les autres… donc trois très irritables. Trois qui, durant une bonne période, pleuraient d’inconfort à cœur de jour, étaient difficiles à nourrir, et dormaient mal (et moi aussi…). Trois qui, même si je les aime plus que tout, rendaient certaines journées assez pénibles en me grugant le peu de patience qu’il me restait. J’ai fait bien des choses pour passer ma colère ces jours-là. Mais une chose que je n’ai jamais faite, c’est secouer mon bébé. Et pourtant…

Lancez-moi la première pierre si, en tant que parent, vous n’avez jamais senti la colère monter à un point tel que vous ne savez plus ce qui vous arrive. Vous manquez de sommeil, vous êtes épuisé. Le petit hurle, et hurle et hurle. Vous avez tout essayé, il crie encore plus. Vous êtes impuissant. Ça fait des heures déjà. Vous ne pouvez reposer ni votre corps, ni votre esprit… encore moins vos oreilles. Vous êtes seul, vous ne savez plus quoi faire. Il vous énerve dangereusement. Vous le tenez à bout de bras, il est rouge, frustré, dans tous ses états et il s’époumone de plus belle. Il le fait exprès ou quoi ? Mais pourquoi tu ne t’arrêtes pas ?

À cet instant précis, secouer le bébé pour le faire taire serait trop facile.

Ce qui demande contrôle et effort, c’est de ne pas le faire. C’est de s’arrêter net pour réaliser que ça ne va plus, qu’il faut que ça sorte mais pas ici maintenant, avec l’enfant dans les bras. Il faut interrompre ce cercle de colère démarré plus tôt. Cligner des yeux, et sortir de cette transe. Certaines personnes y arrivent sans peine… les autres doivent trouver un moyen infaillible d’y arriver. Secouer son enfant n’est jamais une option.

Mon truc à moi, dès que je sentais que mes limites étaient atteintes et que j’allais me mettre à crier, c’était de les déposer dans leur lit même (et surtout) en pleine crise, de fermer la porte et d’aller décompresser ailleurs. Je suis pourtant exactement le contraire comme maman, en de meilleures journées. Laisser pleurer mes bébés ? Jamais! Mais dans des circonstances semblables, j’ai appris qu’il valait mieux que je me laisse 5-10 minutes pour évacuer la vapeur. J’ai déchiré du papier, crié jusqu’à plus d’air dans un oreiller, sauté sur place et décroché le téléphone pour ventiler un bon coup à une copine ou à mon conjoint. Karine, ma très chère, est-ce que tes oreilles sont encore rougies? Je la remercie d’ailleurs, tout comme je remercie ceux et celles qui m’ont fait prendre conscience du Syndrome du Bébé Secoué (SBS). Parce qu’ils ont raison, personne n’est à l’abri de ce moment où tout peut basculer…

Une étude souligne qu’il y aurait des bébés secoués dans environ 5% des familles. Dans les faits, il y a environ une trentaine de bébés qui nécessitent des soins d’urgence et une hospitalisation suite au SBS par année, au Québec. Pourquoi un si grand écart entre les faits et l’étude? Parce que bien souvent, les signes et les symptômes du syndrome passent inaperçus ou la honte et la culpabilité empêchent les parents ou les responsables de se rendre à l’évidence et de consulter.

Les séquelles sont pourtant très graves étant donné la fragilité du bébé. Parmi celles-ci, on compte des dommages importants et irréversibles au cerveau (les cellules endommagées ne se réparent ni ne se guérissent), des fractures multiples et la mort pour un bébé sur cinq. Les deux tiers des survivants présentent des séquelles permanentes, telles que la paralysie, l’épilepsie, des troubles de l’alimentation ou du sommeil, des retards de développement et/ou des déficits cognitifs. Il est prouvé que même ceux qui ne présentent pas de signes cliniques sur le coup, peuvent éprouver des difficultés et des déficits plus tard.

Le plus de gens possibles doivent être conscientisés au syndrome du bébé secoué, ainsi qu’à l’intensité éventuelle des pleurs d’un jeune enfant et à la possibilité d’un manque de tolérance de l’adulte face à ceux-ci. Futurs et nouveaux parents, gardiens et gardiennes, grands-parents… personne n’est à l’abri des sentiments d’exaspération, d’impuissance et de colère causés par les pleurs excessifs, qui précèdent le secouement. Si l’on arrêtait de croire que ce n’est qu’une affaire d’indignes, on ferait déjà un pas dans la bonne direction. Il ne faut pas avoir honte d’être épuisé, de se sentir déstabilisé ou dépassé face aux nouvelles responsabilités parentales ou à un enfant beaucoup plus demandant qu’on l’avait anticipé. C’est tout à fait normal! Les gens craignent parfois de l’exprimer, mais j’en connais peu pour qui tout a toujours été « comme sur des roulettes ». Il est important de reconnaître ses limites et d’avoir un plan de match si elles sont atteintes. Il existe de l’aide, des outils et des ressources pour vous aider à traverser ce moment difficile mais passager. Les services de relevailles pourraient aussi vous donner un répit, pourquoi pas? « Vaut mieux prévenir que guérir » prend ici tout son sens…

Je vous laisse avec un témoignage trouvé sur le site du CHU Ste-Justine, dans un dossier très complet sur le SBS que je vous encourage fortement à lire.

« J’étais morte de fatigue, en pleine nuit, je n’étais plus capable, je n’avais pas d’aide. C’était assez ! J’ai brassé le lit et je l’ai pris, je l’ai secoué tellement fort que sa tête ballottait dans tous les sens… elle s’est mise à vomir. Je l’ai remise dans son lit et je me suis mise à pleurer… pour toujours. »

 

Sources et ressources:

CHU Ste-Justine

Site Web Syndrome du bébé secoué

La ligne parents
1 800 361-5085
Ligne d’écoute et d’aide pour les parents. 7 jours/7, 24 heures/24, confidentiel et anonyme