deuil-bebe-fleur-rose-merePerdre son enfant durant la grossesse ou sa première année de vie, voilà la réalité des parents qui vivent un deuil périnatal. Pour eux, le monde s’arrête. Les projets, le futur, le bonheur anticipé… envolés. Leur trésor n’est plus. Ils reviennent à la maison les bras vides. Les prochains mois, les prochaines années seront difficiles; il leur faudra faire le deuil de leur enfant parti avant eux, et de toute la vie qu’ils n’auront pas avec lui.
Hier, le 15 octobre, était la journée internationale de la sensibilisation pour le deuil périnatal. C’était très important pour moi d’essayer de vous sensibiliser à ma façon, avec ce billet. Je voulais laisser ces parents que j’aime tant, exprimer comment ils ont vécu cette période intolérable et ce dont ils avaient besoin à ce moment-là. Leurs témoignages soulignent bien l’importance du soutien adéquat, de l’écoute et de l’espoir pour traverser cette épreuve. Sachez également que certaines accompagnantes à la naissance chez Mère et monde sont formée pour accompagner les couples qui vivent cette situation à l’accouchement, ou pour les grossesses suivantes.

(Les questions suivantes ont été répondues par Nancy, maman de Julien décédé accidentellement à l’âge de 8 mois, par la maman d’un bébé décédé d’une maladie trophoblastique gestationnelle, par celle d’un bébé atteint d’une maladie grave qui ne lui permettait pas la vie, et décédé à 18 semaines de grossesse, et par le papa de Maélie, décédée in utero à terme. Je n’ai pas voulu trop amputer leurs réponses, alors le billet est assez long.)

Quels mots, quelles pensées vous sont venus à l’esprit quand vous avez su? Comment vous sentiez-vous?

« C’est comme si la terre avait arrêté de tourner. Comme dans un film que je ne pouvais pas mettre sur pause. (…) Non, non, ça ne se peut pas… ça ne peut pas nous arriver… »

« À ce moment-là, on vivait plus sur le pilote automatique. (…) Je ne réalisais pas pleinement encore ce qui se passait. Dans ma tête c’était blanc. Il y avait un voile qui m’empêchait de ressentir ce que j’aurais dû ressentir. Ce sont les semaines et les mois qui ont suivis qui ont été pénibles. Comme si chaque jour qui passait, le voile se dissipait peu à peu. La perte devenait de plus en plus réelle et la douleur augmentait de jour en jour. J’avais l’impression de m’enfoncer. Je ressentais l’absence de mon bébé à travers tout mon corps et mon cœur et ça faisait tellement mal. »

« Je n’y croyais pas. Je suis devenue sur le pilote automatique. »

Qu’avez-vous eu besoin lors de l’accouchement? Qu’est-ce qui était important pour vous (si accouchement il y a eu)?

« J’ai eu besoin de support et d’être bien entourée; d’une présence rassurante. Heureusement, c’est une très bonne amie à moi, infirmière et accompagnante à la naissance de formation, qui m’a accompagnée. (…) Je lui faisais confiance. Aussi, c’était très rassurant, au moment de dire au revoir à mon enfant, de savoir qu’il s’en allait avec elle. Je savais qu’elle serait délicate avec lui et qu’il était entre bonnes mains. Mon accouchement n’est pas un souvenir triste comme tel: c’était la rencontre avec mon enfant et j’avais hâte de le rencontrer. C’est de le laisser partir qui était difficile. »

« Le fait d’avoir une accompagnante à la naissance nous a beaucoup rassuré même si on savait ce qui s’en venait. Elle a veillé sur nous, sur notre cocon. Elle avait même mis un papillon à la porte de la chambre pour signaler ce qu’on vivait aux autres. »

Quels contacts avez-vous eu avec votre enfant?

« Je l’ai collé, je l’ai bercé, je lui ai parlé, j’ai tapoté sa couche, je lui ai chanté des chansons (…). Nous avions besoin de le voir sans les fils et les machines, nous avions besoin de ce contact physique. Notre famille nous trouvait un peu bizarre de vouloir le prendre après l’opération du don d’organes car il était vraiment décédé à ce moment. (…) Toutefois, tous les membres de la famille ont finalement décidé de le prendre et de le bercer. Certaines personnes 30 secondes, d’autres 2-5 minutes.»

« Pour moi, c’était important de le voir, de lui toucher, de le prendre en photo, et j’ai tout fait cela. Ce sont des souvenirs que je chérie énormément. »

Qu’aviez-vous envie/besoin qu’on fasse pour vous dans les jours qui ont suivi?

« Juste accepter de m’écouter quand j’avais envie d’en parler. Mais ce n’est pas tout le monde qui est capable de faire ça. Il a fallu que je choisisse les bonnes personnes. (…) Au salon funéraire, juste de me dire qu’ils étaient avec nous était suffisant. Les gens avaient peur de pleurer devant nous, mais moi ça ne me dérangeait pas. Plus tard, c’est d’accepter que nous parlions de lui. Il a vécu, a existé et a été présent dans notre vie. C’est notre premier fils. On ne veut pas l’ignorer parce qu’il est décédé. Certaines personnes devenaient mal à l’aise quand on faisait ça. Même après 4 ans, les gens sont parfois mal à l’aise. »

« J’avais surtout besoin de savoir que les gens autour de moi étaient présents si j’en avais besoin. La plupart des paroles me blessaient beaucoup même si les intentions étaient bonnes. (…) « Ça va aller, c’est mieux comme ça, au moins tu as deux enfants en santé déjà… ». Je voulais plutôt que l’on reconnaisse ma peine et ma douleur surtout dans les mois qui ont suivis son décès.»

Qu’est-ce qui a été le plus difficile dans cette épreuve, hormis la perte comme telle ?

« J’avais parfois l’impression que c’était correct d’avoir de la peine tout de suite après, mais dans les mois qui ont suivis, les gens trouvaient qu’il était temps que je m’en remette alors que c’était à ce moment que c’était le plus difficile pour moi et que je vivais ma plus grande douleur. Le fait de me sentir seule aussi. Comme si personne ne comprenait ce que je vivais. Même si j’étais entourée, je me sentais différente des autres et même si j’en parlais, les gens ne comprenaient pas réellement. Ils pouvaient s’imaginer, mais ils ne comprenaient pas. Ma souffrance était immense et rien ne l’apaisait. Moi-même je n’arrivais pas à me comprendre. C’est ce qui était le plus difficile. Cette grande solitude. »

« Ça a été la fragilité de mon équilibre psychologique… Ça dure longtemps, plus qu’on ne le pense. Il faut continuer de faire face aux obstacles de la vie alors qu’on n’est pas là mentalement. Le manque d’empathie, c’est dur aussi (…) En fait, les pires mots sont venus de parents endeuillés: « au moins toi, tu l’as pas connu! » Je m’en souviendrai toujours. »

« (…) Julien étant décédé accidentellement, on n’avait pas l’énergie pour la bureaucratie mais on devait le faire (paperasse, réclamations, etc.). (…) On a aussi vécu de la fuite de la part de certains membres de la famille. Ne veut pas en parler, sujet tabou. C’est trop dur à entendre, pas capable… Je crois que ces gens auraient dû recevoir une aide psychologique également car je ne suis pas certaine que ce deuil est réglé pour eux. »

« Une fois la tornade passée, les gens retournent vite à leur vie d’avant. Pas nous. »

Qu’est-ce qui vous a fait du bien?

« Les petites attentions… On n’a pas le goût de cuisiner et on oublie même de se nourrir. C’est bien qu’un proche nous amène un plat cuisiné en nous faisant penser que l’on doit manger… Certains amis nous invitaient à aller prendre une marche avec eux dans des sentiers pédestres, ou faire un pique-nique avec eux. Se changer les idées quoi! Ma travailleuse sociale et le groupe de deuil périnatal de ma ville ont beaucoup aidé aussi. J’ai rencontré des gens comme nous et on a tissé des liens forts avec certains parents endeuillés.»

« Ce qui m’a fait le plus de bien, ce sont mes autres enfants. (…) Chaque jour, ils me faisaient sourire et m’obligeaient à prendre soin de moi et d’eux. Je ne pouvais pas pleurer sur mon sort constamment. »

Votre conjoint a-t-il vécu le deuil de la même façon que vous? Quel impact cela a eu sur votre couple?

« On en a peu parlé et on a vécu ça chacun de notre côté en se respectant mutuellement. »

« Mon conjoint ne l’a pas vécu de la même façon que moi, il a eu beaucoup de peine et il en a encore aujourd’hui, mais il ne s’est pas enfoncé dans cette souffrance autant que moi. Par contre, il était très présent et à l’écoute de mes besoins. Il me laissait pleurer si j’en avais besoin et m’écoutais si j’avais besoin de parler. C’est une épreuve qui nous a rapproché beaucoup. (…) Je sais que je pourrai toujours compter sur lui. »

« Mon conjoint et moi avions nos passes de « up and down », mais pas en même temps. On s’est beaucoup soutenus mutuellement. On est un couple lié à jamais. »

Que reste-t-il avec le temps, du décès de votre enfant?

« De nouvelles amitiés issues de notre fréquentation du groupe de soutien en deuil périnatal. Cet enfant m’a fait vivre une expérience de grossesse, d’accouchement et les 8 premiers mois d’un nouveau-né. J’étais mieux outillée lorsque j’ai eu mon 2e enfant. Cet enfant m’a fait réaliser que la vie peut être courte. Je vis plus le moment présent, j’ai revu mes priorités également. J’ai aussi pu soutenir, malheureusement, d’autres amies endeuillées. »

« Il me reste une petite boîte souvenir avec tout ce qui a pu toucher la grossesse. J’ai aussi un album de bébé vide que je n’ose pas compléter pour notre bébé suivant. »

« Aujourd’hui, le décès de mon fils est somme toute une expérience positive. J’ai beaucoup grandi à travers cette épreuve et aujourd’hui j’accepte ce qui s’est passé et j’arrive à vivre malgré cet événement. Ça fait partie de mon histoire, de moi. Je ne suis plus la même personne depuis, j’affronte la vie avec une perspective différente. L’expérience que son décès m’a apportée me sert chaque jour et teinte mes actes et ma façon d’être. Je ne ressens pas que le court passage de mon fils dans ma vie a été inutile. »

 Comment se sont déroulées les grossesses subséquentes?

« La grossesse suivante s’est bien déroulée mais je n’ai pas voulu croire en l’aboutissement positif de la grossesse. J’ai réalisé que j’aurais un bébé une fois l’enfant dans mes bras, par mécanisme de protection j’imagine. »

« Nous avons choisi d’être accompagnés à nouveau par la même personne. Ma femme a eu besoin de lui parler souvent, moi aussi d’ailleurs. La grossesse faisait remonter pleins de choses mais l’accouchement nous a délivré. »

« Je suis retombée enceinte 3 mois après la perte de mon fils. Pour moi c’était important. (…) Ça faisait partie de ma guérison. La grossesse a été difficile. Dans ma tête, une grossesse ne voulait pas dire avoir un enfant. Je vivais des émotions en montagne russe. Je n’arrivais pas à m’imaginer que ma grossesse pouvait se rendre à terme. J’anticipais constamment une mauvaise nouvelle. Par contre, depuis la naissance de mon fils, j’ai beaucoup pardonné à la vie. »

« J’ai eu beaucoup d’émotions dans la grossesse qui a suivie. J’ai demandé à une infirmière de l’hôpital de me laisser entrer dans la salle de naissance que j’avais eue à Julien. J’ai demandé à revoir le radio portatif que j’avais donné à l’hôpital en souvenir à sa naissance. Au final, je me suis bien sentie quand j’y suis allée. J’étais donc confiante que le 2e accouchement se déroulerait bien. Il a eu finalement lieu dans une autre salle de naissance plus petite (la dernière qui était disponible ce jour-là!). Xavier voulait avoir sa propre salle, différente de celle de son frère je suppose! »


Un grand merci aux parents pour leurs généreux témoignages.