Déclencher, induire, provoquer le travail… 30% des femmes québécoises (et des bébés!) voient leur accouchement bousculé en milieu hospitalier, pour toutes sortes de raisons. Est-ce banal, nécessaire? Difficile, douloureux? Comment l’intervention se déroule-t-elle et pourquoi la pratique-t-on? Comme future mère, avez-vous un certain pouvoir sur cet acte médical? Chose certaine, il suscite de nombreux questionnements et j’ai pensé faire un tour d’horizon avec vous aujourd’hui, question d’y voir un peu plus clair et de vous donner des pistes de réflexion et de recherche.
Tout d’abord, pourquoi provoquer une naissance du point de vue médical? Certains troubles de la santé maternels ou foetaux, comme une prééclampsie ou un retard de croissance intra-utérin important et documenté peuvent justifier qu’on pratique une induction du travail. Cependant, la raison première pour y recourir demeure le « dépassement » du terme. Au-delà de 41 semaines d’aménorrhée (+3 jours dans la plupart des établissements), la recommandation officielle est de proposer le déclenchement pour diminuer quelques risques, comme celui que le bébé aspire son méconium. (Devrait-on pour autant traiter toutes les femmes de la même façon? J’y reviens plus bas). Il arrive aussi qu’on provoque le travail lorsque les membranes amniotiques sont rompues, mais qu’il n’y a pas de contractions ou qu’elle sont inefficaces, surtout en présence de streptocoque B.
Selon la société des obstétriciens et gynécologues du Canada (SOGC), « le déclenchement s’avère indiqué lorsque le risque qui est associé à la poursuite de la grossesse, pour la mère ou le fœtus, est pire que le risque qui est associé au déclenchement du travail et à l’accouchement ». Les déclenchements de convenance, pour satisfaire le donneur de soins ou la patiente, sont donc inacceptables et font courir des risques inutiles. Le soupçon de macrosomie (gros bébé) n’est pas non plus un motif valable pour bousculer les choses puisqu’il ne représente pas d’avantage mais augmente le risque de césarienne, entre autres.
Les conditions de déclenchement dépendent beaucoup de la situation de la mère, de son col plus précisément. Est-il favorable ou non? Pour le déterminer, il existe une échelle qu’on nomme aussi score de Bishop. On y évalue l’effacement, la dilatation, la texture, la position du col et la hauteur du bébé dans le bassin; sa station. Un col dur et long combiné à un bébé haut peuvent être associés à un risque accru d’échec de l’induction et de complications : il faudra donc le faire ramollir la veille, avec des gels de prostaglandines par exemple (comme le Cervidil, sous forme de tampon), ou réévaluer la nécessiter de procéder.
Si le col est souple et a commencé à s’effacer et à se dilater, l’induction se fera sans doute au moyen d’une perfusion d’oxytocine synthétique, comme le Syntocinon ou le Pitocin, souvent jumelé avec une rupture de la poche des eaux (amniotomie). La dose de médicament est minime au début, afin de s’assurer que la maman et son bébé réagissent bien. À cette fin, dans la plupart des hôpitaux, le cœur fœtal sera surveillé en continu. Ce qui ne signifie absolument pas que la mère doive rester immobile! Tant que le cœur du bébé est bien capté par le moniteur, tout est possible… dans les limites des longueurs de fils!
Selon le protocole, la dose sera augmentée régulièrement jusqu’à ce qu’on obtienne un travail actif et efficace sur le col utérin. Certaines femmes réagissent très bien au médicament et n’ont besoin que d’un peu de stimulation pour que leur propre machine se mette en marche; pour d’autres, quand le corps, la tête ou le bébé n’est pas prêt par exemple, ce peut être plus long ou ne pas réussir.
Le déclenchement n’est pas un geste banal, il comporte des risques : hypertonie ou hyperstimulation de l’utérus accompagné de variations sur le cœur du bébé, risque de césarienne accru, mobilité limitée, douleur plus intense et difficile à gérer et donc, taux de péridurale plus élevé (avec les risques qu’elle comporte), sentiment d’incompétence chez la mère… d’où l’importance de s’assurer de la pertinence et de la nécessité de pratiquer l’induction. Est-ce que l’âge gestationnel justifie à lui seul qu’on soumette toutes les femmes qui ont atteint la date butoir à cette intervention? Et puis comment est-on certain que le bébé est vraiment âgé de 41 semaines et 3 jours? L’échographie du premier trimestre est la seule qui permette d’estimer l’âge du fœtus à quelques jours près. Dès le deuxième trimestre, l’hérédité entre en ligne de compte et il peut y avoir un jeu de 7 à 10 jours entre l’âge réel et l’âge estimé. En d’autres mots, cela veut dire qu’il est possible que le 41 semaines que l’on provoque aujourd’hui soit plutôt un 39 semaines.
Il existe des outils médicaux efficaces pour se rassurer sur la santé du bébé à venir : le tracé de réactivité fœtal (TRF) et le profil biophysique (BPP) en sont deux. Le premier est un monitoring du cœur fœtal où la mère signale les mouvements du bébé avec un petit bouton. On évalue par la suite l’activité du petit, et l’énergie avec laquelle son cœur réagit à ses mouvements. Le deuxième est une échographie qui permette de vérifier plusieurs choses, comme les mouvements cardiaques et respiratoires du bébé, la quantité et la qualité du liquide amniotique, la maturité placentaire, etc. Ces outils peuvent être utilisés plusieurs fois par semaine, permettant ainsi à la mère et au donneur de soins de s’assurer que tout va bien et d’écarter les craintes, en plus d’éviter une induction possiblement inutile basée seulement sur l’âge gestationnel estimé.
La nature a ses raisons, il faut bien l’accepter. Oui l’induction a du bon dans certaines situations bien précises, comme toutes les interventions médicales d’ailleurs. Là où j’ai un problème au niveau moral, c’est lorsqu’on traite toutes les femmes et tous les bébés de la même façon, avec des méthodes à large spectre qui n’ont vraiment pas que des avantages… La grossesse, qu’on le veuille ou non, échappe à plusieurs règles. C’est la base de l’humanité (enfin… l’œuf ou la poule?), et je pense qu’on peut faire confiance ne serait-ce qu’un peu, au corps des femmes et aux bébés. Laissons le temps à ce petit être, laissons-le choisir le moment de sa venue au monde… entre vous et moi, on le pressera bien assez vite de tout et de rien. Lâchons prise un peu. Ne jouons pas à la roulette russe mais arrêtons de vivre sous le spectre du risque. Plus facile à dire qu’à faire? Peut-être… ou peut-être pas!
Si le dépassement de votre terme vous cause un stress, je vous encourage à lire mes billets Le mythe de la date prévue d’accouchement et Déclencher son accouchement « naturellement »: OUI ou NON?
Sources:
Société des obstétriciens et gynécologues du Canada (SOGC)
Organisation mondiale de la santé (OMS)
Institut national d’excellence en santé et services sociaux (INESSS)
Super article Jessie!
Merci
Merci!
Bonjour !
Bon article sur le déclenchement. Une petite rectification: le rapport de l’INESSS sur les interventions obstétricales évitables et les mesures à prendre pour les diminuer fait état d’un taux d’induction (pharmacologique) de 30 % au Québec pour 2009-2010. Voici deux extraits sur le sujet a : (je les avais de la version anglaise du rapport publié en septembre 2012…)
The use of obstetrical interventions is widespread in Québec. For example, in 2009–2010, the overall caesarean delivery rate (all pregnancies combined) was approximately 23%, the pharmacological induction rate 30% (…)
Labour induction and augmentation
For full-term and low-risk pregnancies, labour induction has been studied most often in heterogeneous situations (e.g., intact or ruptured membranes, favourable cervix or not, and wide variety of methods used alone or in combination). Compared with no intervention while awaiting spontaneous labour or with placebo, pharmacological induction methods have consequences that depend on the pharmacological agent used. It may be associated with the use of obstetrical interventions, with increases in caesarean sections and in epidural analgesia, as in the case of prostaglandin E2 and oxytocin administered vaginally, and with an increase in operative vaginal deliveries, as in the case of oral mifepristone. Alternatively, high-dose oral prostaglandin or misoprostol can reduce the caesarean rate.
Labour augmentation does not seem to confer any maternal or neonatal health benefit and has little effect, either positive or negative, on the use of obstetrical interventions, compared with monitoring the natural pace of labour.
In these labour induction and augmentation interventions, the heterogeneous outcomes were due to the lack of standardization in the interventions themselves, which often combined several types of methods, and to population mixes that often made the outcomes impossible to interpret. »
Voici le lien pour le rapport en français :
http://www.inesss.qc.ca/index.php?id=65&user_inesssdoc_pi1%5Bcode%5D=FICHE&user_inesssdoc_pi1%5Buid%5D=2078&cHash=ba860150be1c3e7fe6fda1822bca709c
Titre du rapport : Mesures prometteuses pour diminuer le recours aux interventions obstétricales évitables pour les femmes à faible risque
Merci Hélène de la précision, j’ai fait la correction. Le taux de 21.8% était le taux canadien, tel que trouvé dans les directives cliniques de la SOGC pour le déclenchement de l’accouchement, mis à jour en septembre 2013. https://docs.google.com/viewer?url=http://sogc.org/wp-content/uploads/2013/08/gui296CPG1309FrevC.pdf&chrome=true
30%, c’est énorme…
Si j’avais su ça en 1995 à mon 1er bébé, j’aurais dû attendre et ne pas accepter l’induction. Ça a viré en césarienne après 17h d’essai, ma fille n’était tout simplement pas prête à naître. Elle a fait beaucoup d’anxiété toute sa vie durant et ceci en est peut-être la cause. Aujourd’hui à 25 ans, elle ne fait que s’en remettre.
Oh, de tout coeur avec vous. Si votre fille est enceinte, elle pourra joindre notre équipe pour la préparer et la rassurer en ce sens.
Nous sommes des accompagnantes à la naissance et nous travaillons en complément du suivi médical de nos clientes.
http://www.mereetmonde.com